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Je te donne ma langue si tu la veux.

Tu la sens, toi aussi ?

Elle s'approche. Elle se condense, à sa manière - elle s'étire et se met à bouger.

Ah oui, elle sort l'esprit de l'eau, joue avec une balle, tombe et remarche à l'envers.

Ce rythme, ce rythme tient un chemin, une lanière, un animal...

Ca s'approche et ça caresse, la pupille est claire, elle gronde – la pupille nous dévore dans la cour ; elle est en cours d'appartenance à un visage. Tout ça disparait à nouveau, ça cogne, et c'est tout un monde sous la mer, un paquet de nerfs d'eau claire.

L'eau dedans est immense – un poing, un poing gonflé de sang, rongé, de la pluie dans la veine, ça regifle l'esprit ; une goutte de sang - une goutte de sang dans la tête.

C'est trop tard pour retenir toute l'eau qui coule du bord des lèvres, ces rires lui appartiennent.

 

Prends-la si tu la veux – et donne-lui un droit à dormir debout.

“J'ai enfin pu rêver un peu”, dira-t-elle pour finir, et ça revient à cueillir son monde élastique, l’atteindre comme une échappatoire ou une trouée dans les cabines de la gare, de ces quais qui l’obsèdent, dans les buissons ou les bruissements de sa pensée ; vers les arceaux, sous les ponts des ports, sous les escales, entre les piliers des plateaux, vers les trouées dans la jetée de ses pensées, là où elle voudrait être pour que personne, non personne ne puisse la rattraper, où l’on joue des mélodies glissantes, comme répondre au téléphone lorsque c’est pour personne ; qu’elle est emprisonnée, de l’autre voix - et la passer dans le décroché.

Ouvrir les portes où il n’y a pas de poignée.

 

Et les chercher. Alors j’ai pris ce tableau et je l’ai passé par la fenêtre.

 

Extraire de cette cire, dire de ce qu’elle désire, reprendre le dessus des heurts à fixer d’arracher en étoiles. Une colonne de marbre, où tout pourrait se tenir sans fermoir. Mais beaucoup des corps demandés sont trop petits pour leur lumière ; alors il y en a d’autres intermédiaires.

Pouvoir seulement prendre, laissant la place, seulement pouvoir croiser.

Un jeu de plastique, d’échange de poupées, s’éveiller.

Dans les même bras secouer des draps. Passant sur une poitrine pour aller embrasser, enjoué.

Une joute musicale, avec impossible de toucher ; nous ne saurions plus sentir à l’intérieur. Fusant d’un doigt sur la peau, chaque mouvement anime, et bouillonnant reprise la chaleur, chaque lien de son fil réveille une pore. Coraux brisés noués de noms ou de chair neutre.

Pouvoir jouer dans la courbe des riens des autres, sans mot dire. Sans s’éventrer, être mouvant pour onduler sans place. L’éclatement des contacts par similitude des formes, pour défaire enfin le visage ancien, coupé de femme qui courrant en dormant le long des gares prend les traits d’hommes : grimaces lisses, répulsion ballottée pour avoir un espace qui se forme, une place ascensionnelle qui monte un peu, descend aux profondeurs - nous sommes compressés dans les chairs molles et roses du matelassé et de miroirs vieillis, gondolés, ténus – pour enfin expulser par le haut et pour le mieux dans la lumière brutale : presque agressive parce que pour un temps elle a été brisée par un morceau de comprimé, et qu’il y avait des failles ; cet air maintenant explose en taches pulsées sur les gens et sur les choses.

Et il s’embrase au cœur ouvert, sous le comptoir fixé des mouvements dilaté par l’extérieur, sans diffuser d’éclats ; ils n’emportent plus et même font entendre qu’on peut se rappeler ce tourbillon de soudures.

C’est un pan qu’à présent on déploie sans fêlures.

 

***

Dans la mêlée des lacs sombres, les remous. Un fil d’or à gauche, et de fer sur l’autre côté, la seconde part du battement. Le coeur s’est répandu et coule de son afflux mauve dans les sursautements. Au goutte à goutte, son épanchement à contre-jour, dans la lueur des lignes de la main chaude. Cet arc d’eau sans bords.

Ca articule des traversées, troue des tracés, des entraves dans les cours, coupées transpercées qui fuyaient. Des gerbes claires qui se tiennent droites, et roides, sous les poussées ou la pression dans les remous des orbes marines ; les sillons des bateaux pour les arceaux de pierres, l'arc s'étendant dans ses arcanes.

C'est un mur d'eau qui se retourne, brassant des kilomètres de regards.

 

Des glaciers aussi, et il fait froid et clair, dans ces tourbillons de forges. Des rocs, des pics, dans le bleu, l’acier vert de l’eau, le craquellement. Et puis le blanc, le blanc immanent, la vallée, un serpent qui se coule dans l’eau froide et devient une spirale. Translucide comme un rire. De la dentelle échevelée sur les bras, de l’eau partout sur le tissu, les yeux. Cette finesse de la glace, ces blocs, qui se déplacent en une fraction de seconde violente et s’effritent avec douceur. Ca bouge un peu, c’est trop fixe quelque part, on voit les algues dans le fleuve, cette fosse marine…

 

Se poster à l‘avant, sur l’embarcadère, d’où on ne voit que la mer, d’où on ne peut que regarder. L’écume sur l’eau a attrapé et coincé la pensée, qui n’existe déjà plus toute seule, à parler. Ensuite, s'assoir et en venir à chanter. Une mélodie impossible se dégage de la gorge, et fait face - la remontée larvée du son qui a arrêté le sens, là, près de la langue. Le vent sur le fer blanc des ramifications de la barque.

Ca ne pleure pas, mais on commence à écouter.

 

Le frôlement sur l’eau, le passage sur la peau, le contournement de la masse. Là, ça commence à apparaître ; la gorge tellement peuplée jusqu’au bord de cette mélodie qui ne s'appartient pas. On ne parle pas dans tous les cas, on rit, c'est comme ça qu'on fait entendre, qu'on use de cordes vocales, d'un coeur trop violent battant à tout rompre et s'élançant de rage et d'allégresse.

 

Le visage trop brun, coup de fuseau ou fusain dans la peau, la harpe au bout de la gorge, la voix au cou traîne nos oreilles dans la nuit d'un escalier. La bouche à l'air de terre, la nuque paumée contre l'artère, et les bras secoués jetés par l'air, la voix d'argent commence à respirer.


 

Quelqu’un respire. C'est la respiration d’une personne qui dort. Ou c'est un animal qui passe... Non. Ce souffle a le même rythme que nous, il descend quand nous avançons, il change quand nous bougeons. Il y a quelqu'un qui dort ici, c'est la respiration de quelqu'un qui dort, et ne s'arrête jamais, et recommence sans cesse.

Ce souffle est musical… quelqu'un dort en dansant, quelqu'un dort dans des bulles, est-ce que vous l'entendez ? Il invente quelque chose pour nous - une mélodie, c'est doux et un peu brutal aussi, c'est toujours là, ça ne vient pas tout de suite, ça recommence toujours, ça se retourne et ça devient clair...

Il y a une mélodie. Il fait tellement nuit, comme si le sol glissait et que je nous allions tomber... Il y a du vide sous nos pieds, et la musique est plus forte, nous entendons ces voix, nous n'allons pas tomber, ça déferle, nous sommes plusieurs...

Ca sonne tellement juste pour une fois, ça sonne juste - quelqu'un chante juste ici.

Il y a quelqu'un.

***


 

Ce matin, des oiseaux volaient. Des monceaux d’oiseaux pour entailler le blanc du jour. Le renversement de l’aile battue, par-dessous et par-dessus la chair du ciel – dans l’attente. Des trombes d’espacées aériennes et des strates de minutes entreposées, amoncelées, condensées, inversées, ils piquaient dans le ciel comme une horloge, faisait minutes, secondes, des heures…

Trouant le ciel, un peu muselés, attirés les uns par les autres, et puis expulsés, le déployant.

Le ciel de la couleur d’un ventre, palpitant et sculpté de ses flots ou coulées de nurages noirs ; les toits du monde, avec des grues portant les cieux, et le blanchiement de l lumière à l'intérieur des réverbères. Le clair prenant le sommeil, l'avalant de poussière. La nuit vomissant encore un peu de l'intérieur, avec le jaune de l'aurore un peu défaite qui avalait ses ombres. L'absence de totale lumière ou la marque de son absence dans son apparition. De la fumée de la voie lactée passan à l'entrée des toits de la cité. La dentelle orangé, ou bien la mosaïque, comme à nous laisser un peu apercevoir le rapprochement de la lumière.

Ce qu'elle perçait? Une fleur? Le jour.

J'ai voulu sortir ; encore une fois aller marcher. J'entends encore l'espace ; j'attends qu'il se remplisse un peu. La lumière orangée était un peu étrange ; comme de la boue sur mes vêtements. Alors j’ai emboîté le pas à la courbe d’aurore du soleil fané.


 

Dans les bois, j'ai trouvé trois oiseaux pris dans des branches. Des oiseaux de très petite taille, dont je ne sais pas le nom. La pluie de cette nuit s'est cristallisée dans les branches, et ça faisait du givre, qui rentrait dans les plumes, avec la rosée gelée dans l’air froid de l’aube.

Ca formait des blessures rouges sur les corps. Des fourmis étaient sur les oiseaux, qui nettoyaient les plaies. Elles sont parties à mon arrivée. J'ai pu ouvrir les branches, en sortir un, mais il était tellement pris dedans que j’ai failli le blesser encore. Je l'ai laissé. J’ai essayé un deuxième, et il tremblait de peur. Alors j’ai pris le troisième, le plus blessé des trois…

Je sentais la peau sous les plumes ; le givre faisait comme de l’acier cloué et fluide fixé dans la chair. Dans le dos, des brûlures cicatrisantes, dans une croûte violacée. Il y en avait sur le bec, et des petites, autour du cou.

Aiguilles et épines de branches s'entremêlaient. J'ai enlevé les aiguilles l'une après l'autre, dessous la chair était douce comme molle, l'oiseau s'est mis à convulser. J'ai vu que les plumes se perdaient sur sa tête, le haut du crâne rasé. J'écartais les plumes, pour toucher la chair, et l'oiseau a penché son bec sur ma paume. Sa gueule était retournée.

Je ne sais pas d'où cet oiseau arrivait, de loin, je ne sais pas où, d’ailleurs, il allait ailleurs, il ne faisait que passer, sans trop s'attarder. Il avait des tressautements, comme les nerfs par dehors. L'eau qui se dégivrait devenait une flaque dans mes mains, une flaque clair, une informité blanche, les branches brisées, l'eau turquoise, émeraude, il se propageait dans les plis de l’eau qui coulait et devenait comme phosphorescent, il semblait se dissoudre dans l’eau, l’eau claire et trouble à la fois, le gel dégivré, l’eau qui dort, pleine de vie ; il sentait la fleur, la lune rousse était encore allumée, c’était flou dans la brume. L’eau tremblait comme un rire.

L'oiseau a remué. Un de mes doigts était presque bleu, sur le rose des autres, c'était injurieux. Le givre a coulé, il s’est ouvert. J'ai mis l’oiseau sous mes vêtements, les plumes turquoises, violettes, et la peau blanche comme la lune ; le bec rouge.

Il faisait des remous sur le ventre, jusqu'au cœur, sur les artères, se déployait, tenu par le fil de la chaleur. Il tirait sur les vêtements, se faisait de la place, son arc de mouvements, quelque chose de parfaitement ouvert. Il s'est jeté sur l'encolure de ma veste, un fil rouge, et s'est répandu dans l'air. Sur moi il restait des plumes ; un afflux mauve, un sursaut. Un réveil.

La submersible

Aurélie Rauzier

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