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Il

Isabelle Grier

Vous ne l’aviez pas vu, son regard, à l’instant même où il a brillé. La lumière n’y était pour rien, il faisait sombre et nous avions froid.

Il était assis, seul, sur un banc ; un homme d’âge mûr, mal fagoté dans un affreux manteau.

 

Ses genoux tremblaient, mais légèrement.

 

Nous ne le voyions pas, nous étions ensemble, et il était seul ; nous étions jeunes et lui avait donné à la vie tellement de sa personne !

 

Quand l’idée l’a traversé -ou une joie peut être?- il n’a pas pu la retenir. Il a lancé dans le vide l’éclat de son passage, il l’a laissée filer.

 

Je l’ai recueillie par hasard, car elle ne m’était pas destinée. Nous étions en train de rire, ou que sais-je, nous étions ensemble.

 

Elle est restée suspendue dans la nuit, et puis elle s’est éteinte quand il a refermé les paupières.

J’ai gardé quelques secondes en moi la chaleur de cette complicité furtive, et l’hiver a repris ses droits, fouettant mon visage exposé, figeant nos paroles vaines dans des buées bleutées pendant que la silhouette floue d’un inconnu sur un banc se fondait dans la nuit froide.

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