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Sa silhouette se détache, frêle, face à l’immensité qui s’étend vers l’horizon. Le vent bat sa jupe et ses cheveux, mais elle demeure droite et fière, comme la falaise qui près d’elle a accusé tant de coups sans jamais altérer son allure.

Elle perçoit l’air qui siffle et le grondement de cet océan qui vous charge violemment pour mieux se retirer ensuite, en douceur, charriant avec lui d’insolites épaves, inlassablement et sans jamais se laisser impressionner.

Le froid qui s’est installé à mesure que le soleil disparaissait à l’horizon a découragé les derniers passants. Elle est seule sur la plage désormais, avec le vent et les mouettes qui jouent avec lui.

C’est alors qu’elle fait jaillir son chant, timide d’abord puis qui se gonfle avec assurance, relayé par l’écho des falaises.

Dans le vent qui gifle et sur la houle qui se déchaîne, la mélodie se fraie un passage, elle court déjà vers ceux qui veulent bien l’entendre.

Dans les villages alentours, les femmes sentent leur cœur se serrer dans l’angoisse qui les a tenues si souvent éveillées sur le rivage. Les hommes sombrent dans une étrange mélancolie, étreints par cette nécessité folle du voyage, quittant déjà un peu le foyer, en pensées, et les fesses lourdement posées sur des fauteuils rapiécés.

Çà et là, des enfants pleurent, sans comprendre qu’ils sont orphelins sans l’être parce que les vagues finiraient par prendre ceux qu’ils aiment.

Chacun poursuit en silence son ouvrage, luttant contre l’air qui s’est engouffré dans d’imperceptibles brèches et leur parle océan.

Mais le navire qui passe au loin n’a pas pas dévié son chemin, pas plus que le marin fatigué qui a trouvé le repos près des siens. Tous l’ont reconnu, le chant du vent qui gémit mêlé aux cris des oiseaux, la mélodie des vagues affolées dont l’insouciance vous invite à amorcer de longues errances. Le chant s’évanouit toujours quand le soleil se lève sur la grève, et l’on peut alors poursuivre sa route l’âme troublée, un peu plus maladroitement que la veille.

Amère écume

Isabelle Grier

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