Elle veut faire un pas de coté -
Carnets
Élodie Noel
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Elle veut faire un pas de coté mais Ignace l’en empêche, il pose sa main sur sa bouche, presse le visage acculé de sa complice et lui glisse à l’oreille :
« - Je veux que tu m’admires, je veux que tu t’accroches à moi comme un mollusque à sa coquille, obéis et cesses de broncher. »
Elle siffle l’asthme fabriqué de sa carcasse bâclée, avalant nappes de brouillards en théories conspirées.
Ne plus se montrer aux fenêtres. Leurs langues vissées derrière les murs noircis de puanteurs empestent.
La montagne sous la neige ? Ce n’est pas le territoire, Alerte !
Une avalanche. sa vie ? sa disparition ? son absence ? sa survie ? n’est pas tout le territoire.
Un verbiage atterré sur des mots de mots, masturbation de leurs glandes salivaires.
Du bruit, du bruit ? Son cri :
« - Où sont les autres ? Les êtres vivants avec leurs antennes à l’écoute ? »
Quelqu’un :
« - Ils captent et goûtent les mouvements et les formes jouant l’univers dans le jaillissement d’instants multi-dimensionnels, hic-nunc, ying-yang... et toi, tu voudrais danser de plein pied avec les cellules, les sens, les émotions, les pensées et les battements du cœur des êtres présents là où le mouvement reste la seule vérité durable. »
Elle se dégage d’Ignace, quitte l’air infecte, fermant la porte derrière elle, mais le poison court encore sous la lande de sa chevelure éteinte. Elle part chercher l’air frais avec son corps maigri qu’elle fouette, elle rentre les tissus en elle comme dans un frigo. Elle s’épuise à s’envoyer à des années lumières d’elle-même.
« - Latte ôtée trou il y a, latte remise trou il n’y a plus. »
La voilà déclamant les inepties sorties de son cortex court circuité :
« - Le crabe étale à poutre ce qu’à ma carapace rapace tu effaças, La courroie en décennie tutoyée jamais assez tasse ma toux, Mon tutu braille à brûle pourpoint ne trop t’en fer, crible la carne qui te caille…
…Gris ail de nu à genoux eux ils pleurent émoi j’erre est-ouest ?
Antres cartes murs, où la sortie ? un mariage ? »
Etait-ce là le pas de coté qu’elle voulait, comme point de départ vers l’écoute ?
« - Hélas, il ne s’agissait là que de mes déboires, ronflements illusoires de mes talents avortés. »
(Elle se reprend) :
« - Pour qu’ils vivent et enfantent les unités, les univers, les structures, les langages il me faut entrer entière par le trou de la serrure, sortir dans le champ, voir et comprendre.»
(elle lit une phrase de Korzybski)
« - Chaque langage reflète dans sa propre structure celle du monde telle que l’on présumée ceux qui ont développé ce langage »
(concentrée, répétant la phrase plusieurs fois) :
Je vais m’éveiller, rêver, créer les sens évadés d’anciennes habitudes.
(elle lit une nouvelle phrase de Korzybski) :
« - Une très grande part de nos ennuis humains ne sont que des bulles verbales artificielles et elles éclatent quand on les crève, si bien qu’il ne reste plus qu’à en rire. »
(concentrée, pendant qu’elle prononce le texte comme une litanie , un corps se détache d’elle qui se transforme en abeille butineuse) :
« - Butineuse de vœux nus, j’atterris sur les champs de fleurs, de feuilles, de tiges, de bourgeons, de ronces, de pucerons, de significations filtrées en niveaux d’abstractions divers. Je pompe nectars et miellats avec la langue jusqu’au jabot, chaque récolte subit l’assaut des enzymes grouillantes de ma salive. Puis tous fluides et molécules digérés, j’élance à nouveau ma volonté vers ce qui vibre. Je trace, je révèle l’ordre inter-actif des mondes.