Une peau
Aurélie Rauzier
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Les couleurs du vent sur la mer. Les hommes de bois sur les fils allongés de l’air. Toute la brume, les feuilles échancrées sur l’eau. An fond, le blanc, le tissu léger de la ville. Les ondulations trop nerveuses de ses cheveux à l’air, perdus dans les ombres d’une barque. Sursauts, rebonds, multiplication de l’or sur les visages fous de rire, ivres de leur passage, sur les rives de la mort, la traversée des contraire, le passage renversant.
Bienvenue dans la trappe des pecheurs, leur village de poupée, les maisons de toits penchés, trop bas pour ne pas faire penser qu’on les a enfoncés dans la terre, le sable, jusqu’au bord des reins.
Des boules de chiens, le museau dans les entrailles, qui achevent d’hurler à la nuit, aux vagabonds des portieres. Plantes grases, doigts de sorcières, sur le fil de terre, les draps ouverts, et les vetements qui tachent dans la trouee vers la jetee de la mer, l’eau noire et chaud du bord de l’air. Sur quelques pas, plus loin, une maison condamnée, puis trois portes fermées sur une absence ; un mur de grais, un cabanon, une meurtrièrre, “boa noite”.
Des crevasses de ciel enflammées dégorgent des rayons. De la peau de leurs cœurs qui s’étire en silence, altérée étalée dans l’accroc, ils s’accrochent aux barres de fer. Tiennent de toute la force de leurs doigts fins sur le froid du métal pour calmer la sueur. Des moustiques affolés entre les colonnes d’aveuglement et d’ombre, éparpillent leurs ailes et raflent la poussière.
Les fusements de la foule qui se croise, les chevaux suffocant dans l’odeur des fumées, rejoignant une tour au sommet de la colline.
Les langues de la gorge et les mots qui ne leur appartiennent pas.
Et ils viennent de partout, ces étrangers, tapisser les vieilles gens de leurs langues insondables, parfois jusqu’à la rage des villages absents, coulés dans le béton armé jusqu’au coeur, l’urbanisation plantée dans le soleil, la lassitude et l’impuissance d’une contre-vie de tous les jours dans les plis du déguisement de ce terroir où l’on ne respire plus, sur la lame de couteau d’une côte acérée de murs blancs et protégés par du verre.
Mais ce sera toujours leur terre, celle de leur seigneur, non pas un dieu, sinon le soleil qui danse sur les jours éclatés en volées d’heures confuses.
Il est un ciel que l’on arrache pas et qui tremble, englobe la fuite des passants d’ici ou de partout, des mendiants qui ne gardent qu’une main. De l’arrachement et du déploiement de leurs conversations s’écrasant sous les talons, dans la musique confuse fusant de dessous tous les restaurants ambulants aux lucioles de fer, qui scintillent dans le flou, dans la nuit, dans leur rire et le début des cris. La prière étend sa texture entre les plis des bords de leurs yeux, entre les voiles de leurs peaux, dans les frous frous de leurs vêtements trop larges pour la rue ; trop absents dans les bains, le battement de leurs cœurs separés par les sexes, la coutume de se taire et apprendre a plier. Ecouter la voix qui, du soir des temps, remonte vers la terre, lentement, des sommets de la ville.
Au bout du ponton, le train de mer, le fer des barres de chair.
Le jour part sur des lambeaux de peau brûlée. Le bout du bord, des fenêtres d’écharpes pendues, le froid de coins de cils battus, vers des miroitements de bâtiments à l’air, et jetées de lampadaires.
Les éolienne qui goutent a la côte, avant de s’étirer dans leur ressemblance avec ces jouets qu’au bout d’un baton on souffle pour en dérouler l’air retors des torsades de couleurs.
De son voile pointent quelques mèches, elle baisse les yeux ; ils laissent couler son sourire sur ses hanches apeurées, cachées tellement sous des robes, appartenant à l’homme arrivant en face, et connaît à lui seul le privilège d’avoir enfermé toute son exubérance. Elle aperçoit un regard de femme en face, et se jette dessus de toute la passion qu’elle n’a plus qu’éclatée, ou brisée dans les tissus de la prière récalcitrante.
Ses mains dans l’eau de la lessive et ses yeux dans celle de la tentation.
Droite, et honnête, parfois elle donnera du regard à une femme libre qui passe, et ce sera sa liberté, cette réponse de l’autre, cette liberté qu’elle a emprunté à l’autre pour un instant, le pouvoir de son humilité qui a gagné, parce qu’elle a laissé le choix, et qu’on lui a souri. La grandeur de son visage tourné vers le sol ; pour nettoyer.
Une enfant à la fenêtre bleue qui est déjà la rue, son pull orange battant sur la fraîcheur du soir. De ses lèvres roses et sa peau pâle elle parle une langue dure, gutturale, posée sur ses cheveux blonds. Elle a disparu et laissé un trou dans le mur. Elle est penchée tout à côté des clochers de la montagne dorée. Le labyrinthe de la ville fait pour elle une trouée, un cocon du dehors de la rue affairée vers l’intérieur de sa maison posée, comme un mur entre nous et l’abrupt du vide.
Leur porte est verte et en sort un petit garçon aussi, muni de son cartable trop léger ; de l’ordre de chez eux et les couleurs marron et gris du pays.
C’est la fille du vent, et la voit-on passer, ce n’est qu’entre un grand éparpillement qui dévore tout l’espace à prendre, qui a tout puisqu’il n’a rien, et auquel il ne manque rien, si ce n’est l’appartenance. La vitesse du vent, et cours sans ces attaches inexistantes, depuis les origines.
Elle avale l’air qui ressort, transparente écume, et rien ne passe sur elle, puisque tout lui ressemble. La soeur et le frère de l’eau vive, désaltérant, et absent de n’exister qu’ici, dans ces idées et leurs courbes attachantes.
Elle est avec les enfants de l’air qui jouent dans les cours arrières pour porter le monde qui les traverse, la mémoire des faits des sédentaires, ceux qui gardent l’ampleur du monde qui est le leur, attachés à un cœur, le poids de leur ancrage, la cour des vrais enfants qui jouent à la balle rouge sous le regard rieur des mères.
Un flanc de maison étalé sur les arbres.
Le transpercement de l’air de toutes les parts de la tourelle, qui vient incruster son village en déchirant les murs. L’air et la lumière nécessaires à la prière autour des cols de la montagne.
L’homme droit, pilier de cette montagne, du sommet regarde sa ville.
Les chutes de cendres au coucher du soleil.
Les flocons de cendres lorsque la chaleur à la fin du jour se tanne dans l’odeur des chèvres. Dessinées dans le bleu, vingt branches de fer embrasées par le feu étouffant des vraies branches enflammées.
Le bout de sa jambe étendu dans l’asphalte, dans le clair de la peau retournée à l’orée, à la pure chaleur des ombres de lumière. Le vent disparaît, s’évanouit, l’homme a peur et s’en retourne vers l’avant, sur les pontons de chair de son corps élancé.
Elle me suit ; elle me suit sur des routes de campagne de pays étrangers, dans les bordures des cités, dans les oiseaux qui perdurent et s’alignent tous à l’endroit.
Marionnette, ou poupée de bois immaculée, avançant presque à reculons derrière les pas de chevelure de fer, de goudron et d’acier. Elle s’évanouit elle est dans l’air elle est tombée à terre, dans les tissus filandreux des grains de la lumière.
Le dialogue entre les deux tournoiements vaporeux de ses lèvres plus haut, la bas vers le ciel qui commence de l’autre côté. L’emplacement d’une pêche, une boule de cheveux abrutie sur ses lèvres, la rotondité des nervures effarées à l’avant du mouvement, le départ des visages vers l’appointement de la terre.
Sa peau est un grain de sable. Sa peau est l’orphée des cailloux des déserts d’autrefois.
La rigueur de sa peau n’est plus faite que pour nos mains sèches sous lesquelles elle s’effrite. Le grain de sa peau accumule la beauté et la densifie en jaune pâle.
La plante de ses pieds est l’écorce de la terre enroulée sous ses palmes. Elle perd des feuilles lorsque ses lèvres veulent embrasser les regards alentours. Elle cherche des yeux partout a la fois. Elle ne parle pas ; reflète le visage de ceux qui la regardent. Elle ne sait pas, elle ne veut pas savoir ; elle marche. Ses yeux de l’eau ouvrent la mémoire du peuple, accompagnant le bord de ses lèvres, comme un sourire sans précision. Elle a compris. Elle les a rouverts et versé du sable du bord de ses paupières, légère comme les rues de son regard troublé, commençant à acquérir la fermeté de sa couleur de prune.
Elle a la mer dans le sang et le feu au bord des intestins, posé sur la terre, l’air dans le blanc des yeux qui la regardent froidement, sèchement comme la méduse effarée, desséchée sur le bord de la plage. Tous les carreaux et les vitraux de son regard versent des fleurs sur les hommes qui passent, elle est en tissu, comme l’herbe qui la recouvre parmi les blés de ses rêves, ceux qui jamais n’ont existé, au beau milieu de son désert.
Dans la mêlée lacs sombres, les remous. Un fil rouge à gauche, et de l’autre côté, de fer, la seconde part du battement. Il s’est répandu et coule de son afflux mauve dans les sursautements, le réveillement.
Au goutte à goutte, son épanchement dans les lignes de la main chaude.
Ils dorment sur les gouttes d’eau, les petits mors de l’aube.
Approchent du bord du soleil, marchant sur sa combe, ils passent sur le cœur de l’heure d’attente.
Ils lancent dans l’ombre des éclats de poudre d’argent, les orées de leur prière assise, sortant du fond de leur gorge.
Picotements. Clignotements. Doucement dans les pieds, dans l’avalement des duvets, l’humidité qui enfle, le tanguement gonflé, le bord de la coque craquelé soudain, attrappé à deux mains, penchées, oú on est ; les bords la marée ont déjà attaqué la moitié de la barque échouée. Le sommeil a gonflé dans l’eau froide, sur les paupières étalées, étirées à force de lumière sur les cotés, on commence à tanguer – des fleurs écrasées dans la brume des pensées. On est jetées a la bouée de l’éveil. Débarquées dans le rues affolées des lumières de lampadaires grisées par la fatigue.
Glissements, le léger bruit qui lui tapote les tympans, le matin le soleil, elle accourt sur le sable, se dénude de toute la nuit dans ses yeux, tapée dans l’écume elle gigote, et agite le plat du remou, l’affolement de la vague, éclatée dans les pieds, elle est trempée. Trente centimètres de blanc d’eau sur les pores perforées trouées de la peau par terre.
Elle a une robe bleue avec de la dentelle sur les bordures et sur les bretelles, les cheveux acajous qui glissent sur la dentelle ; elle court, sautille vers la mer, elle a tape du premier coup dans l’ecume et ses pieds claquent dans le froid soleil.
Dehors, dans la lumiere aveugle, le port, un bateau vide et les embarcaderes.
Au bout du voyage de l’enfant, au bout du ponton, il y a le chemin de fer dans la mer.
L’explosion de sa langue d’eau, de son soleil des forts de terre, le reve de coton des pics de la ville qui se balancent derrière, les voiles du jour et la rumeur derrière.
Il nous a déposées en portugais et il est allé pecher, ecarteler des coquillages, et elle ouvre les grains de sable pour y écrire contre la mer.
Mes pieds dans les arceaux d’eau glacée, les enclumes de la robe mouillée.
Et elle fait le chateau dans le choeur. Il est pendu au poumon, derrière l’artère le fer du bord de mer, l’embarcadère. Il est sous le sein, sous la dune, à gauche des côtes de baleines étalées sur la jetée. Il est rouge orangé, cette boue d’Afrique au bord de l’Europe, a ses pieds etalée.
Et contre le pied, il s’installe en couleurs et dévore l’opacité de la lumière dans l’adhésion ventouse des pores de terre trop claire délacée au soleil.
C’est la douve. La brindille asséchée, la chair de sablier, mate et surmontée de créneaux, de toiles d’araignées.
Il y a ses cheveux qui trempent dans les tourelles, presque portées a ses lèvres ; ce sont des minarets. Elle fait un chemin de traverse vers le haut de ses flancs, elle a abandonné les ailes, décousu les tourelles, elle dessine des montagnes, et elle touche et elle gagne le sommet déjà creusé. Elle a les doigts écrasés sur le pont-levis. Nous sommes il y a dx ans. Sur une ligne de fissure, de l’image, du ciel bleu, decolle un avion blanc a rayures bleues du sommet de la tourelle, de l’aérogare cachée derrière ; ou tout contre, sur le fil suspendu du regard decroisé, enlacé dans les lignes de suspensión des grandes salles d’apparat, de déguisements de crous de rois, dans le ventre des cofres forts cachés.
Elle forme des masques sur les grains de peau du bord de mer derrière. “La femme de sable, la femme sorcière”, et elle se jette dans les ombres de bleu, le tissu glacé comme la pierre.
Au pied de la proue, la sauvage mouillée arrache des fils de lumière de frissons de soie des sangsues ; un roc à travers la mer. Elle étale du blanc partout sur sa peau rouge, il la suit et elle court, elle court, jaillit dans l’eau, elle éclabousse ; elle est partie. Et quand elle rentre, elle se fait marquer au sable chaud qu’on lui enfouit dans les cheveux. Elle crie aux mouettes, des couteaux de sons tirés dans la nuit, au ciel où elles martèlent leur manière de prière, ronde ballet affleurée sur les épaules des ruelles.
De ses doigts sortent des lames de mines, pates, femmes en crapaud, en tailleur de crayon. Elle trace l’homme assis et son nom.
Les rayures du coude, et dans ses yeux de vin gras la misère brune.
Deux montres à ses poignets : une pour le jour, et l’autre pour les nuits des chaleur dehors. La cigarette happée par le rebord de sa casquette, le visage caché dans la viscère, enfoui dans la timidité ou le sourire des dents édentées.
Assise part terre; il attrape de sa main fébrile les mots lancés sur les trous de sa présence, passée sous les rails de fer de l’absence aux hommes ordinaires.
Son visage se dessine dans la clarté de l’enfance moustachue, et par-dessus les yeux de la douceur il s’est retiré des traits la société parfaitement jusqu’à la chair.
C’est par les fils de son haleine que se remonte la mémoire. Elle s’inscrit dans le pli du regard, et sa langue espérante, mêlée de tâches d’étrangeté, d’autres langages très certainement, de cicatrices de contrées qui lui sont passées sur le corps et ont martelé en s’attrappant comme de l’air lourd dans la chair.
Il est couvert par ses fissures, et porte sa vie à l’envers, renversée à l’extérieur ; comme un épouvantail de la marginalité. Un manteau avec doublure : d’un côté il donne la trace, et de l’autre l’efface, toute cette histoire tassée dans du vin d’été.
Et dans la tendresse qui l’effleure, il est comme le vivant très fatigué ; comme l’électricité.